J’ai mis longtemps à répondre : fcn50 demande une longue réponse. Malheureusement, j’ai perdu le premier jet que j’avais écrit pour lui répondre le soir même. Ensuite, j’étais trop occupé.
Après relecture, je trouve que le post de fcn50 soulève quelques points qui méritent considération, il y a aussi certaines remarques de fcn50 auxquelles je me dois de répondre.
fcn50 a écritJe comprend bien que c'est ton domaine et que les critiques ne font jamais plaisir
Tout d’abord, je n’ai aucun problème avec les critiques qui concernent « mon » domaine. Pourvu qu’elles soient fondées. Le monde scientifique, et singulièrement académique, fourmille de problèmes, à mon sens : féodalité (soumission des doctorants et des post-doctorants à leur chef d’équipe), précarité, compétition exarcerbée qui génère du gaspillage là où une approche collaborative pourrait améliorer l’efficacité de la recherche… Ces défauts, pour autant, ne remettent pas en cause la méthode scientifique en tant qu’outil pour connaître le monde. En l’occurrence, la mention du fait que le vaccin oral contre la polio inoculerait le VIH aux vaccinés n’a jamais été démontrée de manière indépendante. En fait, il y a bien un virus endémique dans les populations de chimpanzés autour de Stanleyville, mais
ce virus n’a rien à voir avec le HIV-1 incriminé.
Qu’un journaliste enquête sur le sujet, je veux bien. Mais qu’il se substitue aux scientifiques qui le critiquent, là, non. Désolé, mais l’opinion de la communauté scientifique qui bosse sur la transmission du SIDA et celle d’un (et fussent-ils plusieurs que cela ne changerait rien) journaliste n’ont pas la même valeur. C’est un peu comme si je me prétendais expert en mécanique parce que j’ai joué avec des Meccano© étant gamin.
fcn50 a écritDonc pas besoin de faire étale de ton savoir pointu par condescendance, c'est plutôt contre productif et montre justement un manque de pédagogie qui est l'intelligence de transmettre un savoir aux autres, hein:
Berneri a écritC'est sûr qu'avec ça on ne va pas se luxer le cerveau. En même temps, c'est pas grave si on est ignorant, hein : on est dans le camp du bien, pas vrai ? Alors, on a éthiquement le droit de dire n'importe quoi. On peut aussi être complètement crédule et croire un type qui empile spéculations sur spéculations, en faisant fi des données qui le contredisent, simplement parce que ce qu'il dit entre en résonnance avec ce que l'on croit. Un bel exemple de dissonance cognitive.
Tu trouves pas un peu prétentieux? Moi oui, pour plusieurs raisons que je te laisse méditer.
Ça, c’est fort, faut reconnaître. On écrit
çà et on s’attend à ce que l’on réponde gentiment ? Faut pas délirer.
fcn50 a écritLe journaliste ne s'est jamais prétendu scientifique, ce qui me laisse en déduire que tu n'as pas vu le documentaire dont le livre sert entre autres de départ d'enquêtes et non de fin et auquel je fais référence.
Hooper ne prétend pas être scientifique, certes, il n’empêche qu’il qualifie les chercheurs qui le critiquent de marionnettes à la solde de l’industrie pharmaceutique. C’est un peu facile. Ensuite, non, je n’ai pas vu le documentaire d’Arte : je ne réside ni en France, ni en Allemagne et n’ai donc pas accès à cette chaîne. C’est d’ailleurs pourquoi je me suis limité au livre de Hooper et que je n’ai même pas mentionné le documentaire en question.
fcn50 a écritTes propos me font penser au mauvais côté de la science malheureusement quand tu dis:
Berneri a écritMouais, sauf que, le bouquin est démonté par des journaux scientifiques sérieux
L'histoire a, à mainte fois, prouvé que les affirmations données à un certain moment était infirmées par de nouvelles connaissances ce qui prouve que l'absolu, surtout en science, n'existe tout simplement pas. D'ailleurs la seul science exact sont les maths, paraît-il... Prétendre le contraire est justement ce qu'il y a de mauvais dans la science, LA prétention de la vérité absolue. Et là, sous le couvert d'une institution fermement établie, tu ne mets même pas ne serait-ce que l'ombre d'une possibilité que ces dires pourraient aussi être remis en question alors que les enjeux financiers sont colossaux! C'est faire preuve du même aveuglement que le côté que tu dénigres. Pour de la science, ça me semble maigre comme esprit critique.
Là c’est un passage intéressant pour les méconceptions ou les malentendus qui sont légion sur le fonctionnement de la recherche : je doute que la poussée d’Archimède soit remise en cause un jour. Quand je parle de « journaux scientifiques sérieux » (qui d’ailleurs ne sont pas à l’abri d’un faux pas non plus, je pense à la mémoire de l’eau ou à la bactérie qui remplacerait le phosphore par du cyanure dans son ADN), je parle de journaux qui publient des articles qui ont passé le crible de la revue par les pairs, pour lesquels la méthodologie a été testée, les conclusions ont été évaluées en fonction des résultats présentés dans ces articles et dont les expériences sont reproductibles.
Il n’y a pas de relativisme cognitif en sciences : toutes les idées ne se valent pas. Alors oui, l’histoire a montré que nombre d’affirmations (comme le fait que la Terre soit plate ou que le Soleil tourne autour de celle-ci) ont été remises en cause. Mais voilà : ces affirmations n’étaient que cela, des affirmations. Elles n’étaient étayées par aucune observation ou par aucune expérience. Ce qui fait que ces affirmations faisaient plutôt partie d’une tradition que d’un corpus de connaissances scientifiques. Alors, oui, plus récemment, il y a eu des changements importants. Un excellent exemple est la théorie de la tectonique des plaques (au passage, théorie, au sens scientifique, n’a pas la même signification que dans le sens commun : une théorie scientifique est prouvée, vérifiée…). Quand Wegener l’a énoncé, personne ne l’a cru, et pour son hypothèse devienne une théorie, il a fallu une trentaine d’années. Pourquoi ? Simplement parce que Wegener n’avait aucun moyen, à l’époque, de tester son hypothèse. Personne ne le pouvait. Pour autant, une fois que les outils ont été disponibles, son hypothèse a été testée, et d’hypothèse elle est devenue théorie. Les géologues qui ne croyaient pas à l’hypothèse de Wegener avaient-ils tord ? Rétrospectivement, oui. Avaient-ils tord de ne pas prendre les affirmations de Wegener pour argent comptant ? Non. Ils ont agit comme ils auraient dû : traiter cette hypothèse avec scepticisme tant qu’elle ne pouvait pas être testée, l’accepter une fois qu’elle a été montrée comme vraie.
fcn50 a écrit Et là, sous le couvert d'une institution fermement établie, tu ne mets même pas ne serait-ce que l'ombre d'une possibilité que ces dires pourraient aussi être remis en question alors que les enjeux financiers sont colossaux!
J’ai plus haut cité un lien qui montrait, pour me limiter à Hooper, que ses affirmations étaient largement contestées. Il faut cependant prouver que des enjeux financiers seraient derrière la contestation des dires de Hooper. Sans ces preuves, pour moi, ce n’est que de la théorie du complot. Je ne nie pas que les entreprises pharmaceutiques ont des intérêts, ici, mais il faut me prouver que toutes les études qui contestent la thèse de Hooper ont été manipulées par l’industrie pharmaceutique. Sans ça, ce n’est qu’une théorie du complot de plus, à mon avis. D’ailleurs, l’opinion qui semble prévaloir et qui voudrait que tous les scientifiques soient vendus ne tient pas : ce sont des scientifiques qui ont découvert le lien entre cancer et cigarette, ce sont des scientifiques qui ont découvert le rôle des CFC dans la formation du trou de la couche d’ozone, ce sont des scientifiques qui ont découvert le lien entre l’amiante et le cancer de la plèvre, ce sont des scientifiques qui ont découvert que le réchauffement climatique est anthropogénique… Toutes ces découvertes se sont faites à l’encontre d’intérêts industriels. Dès lors, parler d’une corruption supposée de l’ensemble des scientifiques ne tient absolument pas la route.
fcn50 a écrit Pour de la science, ça me semble maigre comme esprit critique
Je ne crois pas à la science comme quelque chose qui définirait un absolu. Ce sont les religions (ou au sens plus large, les croyances) qui le font. Par contre, je refuse de prendre toutes les affirmations pour argent comptant : l’esprit critique, ce n’est pas accepter n’importe quelle affirmation comme valide, même si cette affirmation entre en résonance avec notre vision du monde (du genre : les compagnies pharmaceutiques sont uniquement intéressées par le fric DONC le vaccin anti-polio est contaminé par le VIH-1) ; tout comme l’esprit critique n’est pas rejeter d’emblée toute affirmation qui entre en conflit avec notre vision du monde. C’est au contraire évaluer les affirmations faites, les confronter aux connaissances et au consensus scientifique sur la question examinée, et se positionner en fonction de ces données.
Si Hooper — je me limite, encore une fois, à ce livre — avait pris en compte les critiques — étayées par des expériences ou des analyses épidémiologiques —, je n’aurais aucun problème avec lui. Le fait qu’il semble invoquer un vague complot en réponse à ces critique le discrédite à mes yeux. Et ceux qui emploient ce type d’argumentaires se discréditent également.
P.S. : il faut, bien évidemment, critiquer, surveiller les pratiques de l’industrie pharmaceutique, de toutes les industries en fait : leurs intérêts, leur raison d’exister n’ont rien à voir avec la recherche d’un bien-être commun. Mais il ne faut pas le faire n’importe comment au risque de perdre toute crédibilité. Un bon exemple de critique de l’industrie pharmaceutique est
ce livre (pour les anglophones, malheureusement, je ne sais pas si il est disponible en français), qui, lui, est étayé.