alius a écritFly0s a écrit
Les résultats de l'économie expérimentale et de la biologie évolutive sur la coopération chez l'Homme sont vraiment très intéressants de ce point de vue !
Peux tu en dire plus sur ce sujet ?
La coopération dans le vivant est un sujet très problématique (dès l'Origine des Espèces et l'Ascendance de l'Homme, en fait), parce qu'il est difficile d'expliquer qu'un système de coopération se maintienne sans que des "tricheurs" viennent tout faire s'écrouler : en effet, une stratégie "tricheuse" envahirait rapidement la population en bénéficiant des aspects positifs de la coopération, sans en payant le coût (sans coopérer quoi). Suffit d'avoir fait un travail en groupe à l'école pour savoir de quoi je parle ! 😉
Une partie du mystère a été résolu pour la plupart des espèces dites "sociales" (grosso modo, très coopératives, avec une forte division du travail, et parfois même une division de la reproduction, comme chez les fourmis) grâce à la notion de "valeur sélective inclusive" où on ne considère plus la valeur sélective de l'individu seul, mais aussi de tous ses apparentés avec lesquels il partage des gènes en lignée plus ou moins directe. Comme l'a résumé Haldane "Je donnerai ma vie contre 8 de mes cousins" (on est apparenté au 1/8e avec nos cousins). On appelle ça de la "sélection de parentèle" : si le bénéfice B pour individu apparenté à r% avec toi, alors payer un coût C < Br devient avantageux évolutivement.
Le mystère reste par contre tout à fait entier pour l'Homme. À bien des titres, c'est une espèce extrêmement coopérative, sans que la "sélection de parentèle" puisse vraiment l'expliquer (bien qu'on coopère fortement avec notre famille, la société humaine, en elle-même n'est pas spécialement basée sur nos proches, la coopération s'étant bien au delà). Les biologistes évolutifs font donc beaucoup d'efforts pour comprendre l'émergence de comportements altruistes et coopératifs chez l'Homme. Pour prendre un exemple (très très) caricatural, imaginez que vous confiez votre bébé à une nourrice : la stratégie a priori la plus avantageuse (au sens évolutif) pour elle serait de ne pas s'en occuper, prendre votre thune et aller élever ses propres gosses (j'avais prévenu, c'est simpliste comme exemple).
Beaucoup de choses se sont développées en modélisant les interactions humaines comme un "dilemme du prisonnier" où coopérer est moins fructueux que de trahir quelqu'un qui coopère (deux traîtres ne gagnant rien, basiquement). La stratégie rationnelle dans ce cas est de trahir. Mais lorsqu'on répète le dilemme plusieurs fois (avec une mémoire des jeux passés), une stratégie efficace est de coopérer d'abord, puis de trahir juste après que l'autre "joueur" trahisse, et ce jusqu'à ce qu'il coopère ("tit for tat" en anglais).
Du coup, beaucoup de gens ont utilisé ces petits scénarios pour étudier le comportement des humains lors de "jeux" de ce genre (on appelle ça parfois de l'économie expérimentale), et les résultats montrent que l'Humain, loin d'être rationnel, possède un sens assez aigu de la coopération et de "justice".
La plus belle illustration est le jeu de l'ultimatum. Le joueur 1 possède une certaine somme d'argent (mettons 10€) et doit proposer à l'autre joueur un partage quelconque de cet argent. Le joueur 2 analyse le partage (le joueur 1 peut lui proposer de 1€ à 9€), et possède le droit d'accepter le "marché" ou de refuser. S'il refuse, personne ne gagne d'argent.
Dans ce cas, la stratégie rationnelle pour le joueur 1 est évidemment de proposer 1€ au joueur 2. La stratégie rationnelle du joueur 2 est d'accepter l'argent (entre 1€ ou rien, y a pas photo !), et surtout jamais de refuser l'argent !!
Eh bien, dans une situation réelle, les joueurs 1 proposent plutôt des marchés équilibrés (pas loin de l'équité, mais pas tout à fait, plutôt vers 4€) et les joueurs 2 n'acceptent que si le marché n'est pas trop déséquilibré (plus on s'approche de 1€, plus le joueur est prêt à ne rien gagner pour "punir" le joueur 1).
Le jeu du "pot commun" aussi est très marrant. Tous les joueurs, à chaque tour, peuvent déposer de l'argent dans un "pot commun". L'argent du pot est multiplié par un certain coefficient (il génère du profit), et équitablement redistribué aux joueurs.
Évidemment, là encore, la stratégie rationnelle est de ne rien mettre dans le pot et attendre les bénéfices dus à la participation des autres joueurs. Si les joueurs sont rationnels, ils ne mettront donc jamais rien dans le pot.
Dans un situation réelle, on observe régulièrement une augmentation de la participation des joueurs, puis l'apparition de comportements "tricheurs" où certains ne mettent plus grand-chose, puis la participation au "pot commun" diminue et finalement plus personne ne participe. Par contre, lorsqu'on introduit la possibilité de payer une certaine somme pour "punir" certains joueurs non coopératifs, les autres joueurs n'hésitent pas à payer pour punir et la coopération se maintient (la plupart du temps).
Intéressant, non ?