Revue Sciences Humaines/ Numéro spécial Janvier 2020/ Le pouvoir des livres/ Comment la littérature peut changer notre vie
Témoignage de
Laurence Delamotte, retraitée de la fonction publique
« J’ai 12 ans, je suis en cinquième. Madame Guggenheim nous donne un devoir de français, une suite de mots ensoleillés et nous invite à lire « Noces » de Camus. Je ne connais pas ce nom. Ce sera une fulgurance. Je lis « Noces », puis « L’été ». Je cherche qui est ce Camus. Un enfant pauvre comme moi qui souffre alors d’être vêtue de vêtements récupérés çà et là, quand d’autres dans mon collège ont déjà des sacs Hermès.
Un constat : même issu d’un milieu modeste, on peut s’en sortir. L’intelligence n’a rien à voir avec le paraître.
J’ai lu et relu Camus, je le relis encore avec la même vénération et ça fait 60 ans que ça dure.
Son amour de la vie, sa soif de justice, ses engagements politiques et sociaux, son questionnement sur la mort, sa recherche permanente de vérité, le tout saisi avec des mots simples qui résonnent en moi.
Il m’a tellement parlé de l’Algérie que je suis allée jusqu’à quitter mon pays pour m’installer dans un village perdu de Kabylie, loin du confort et de la facilité mais riche de tout ce qu’il aimait.
Ce furent les plus belles années de ma vie. Je dois à Camus la lecture d’une multitude d’écrivains : Mouloud Mammeri, Mouloud Ferraoun, Kateb Yacine, Emmanuel Roblès, Jules Roy, Isabelle Eberhardt, Yasmina Kadra, Kamel Daoud…
Je remercie son instituteur, Louis Germain. Sans lui, Camus serait peut-être devenu un très bon footballeur mais je n’aime pas le foot.
Et je remercie ma professeur qui portait toujours trois bigoudis dans les cheveux et balançait son bras en nous disant : « Pénétrons, pénétrons mes enfants en classe de latin. »
Sans son conseil de lecture l’année de mes 12 ans, ma vie aurait été différente. Oui, c’est toute ma vie qui a été influencée par ce philosophe. »