Dans la rencontre, y a aussi un truc qu’il ne faut pas oublier : que l’on veuille ou non, qu’on fasse les « ceci et les cela », y a un instinct de chasseur au fond de la plupart des gars à la recherche de la bonne proie. La question étant de se demander si le chasseur ne risque pas de devenir lui-même la proie et le souci étant que parfois la bonne proie peut finir par devenir le chasseur qui va changer votre vie.
Vous connaissez Biarritz ? Et bien voilà un chouette site gratuit de rencontres que je n’échangerais pour aucun Meetic !
La Grande Plage et ses rouleaux, la plage Miramar, le Port-Vieux, la Côte des Basques, la place Clémenceau… : un terrain de choix pour tenter de faire des rencontres au soleil, en plein air marin chargé de sel, les cheveux dans le vent et de l’iode plein les narines !
Et comme j’aime cet endroit, je ne peux résister à la tentation d’essayer de faire partager un début de roman qui décrit avec une précision extraordinaire une séquence que j’ai l’impression d’avoir connue exactement dans ces mêmes lieux, ces lieux que je connais comme ma poche et que j’affectionne beaucoup.
« Elle n’avait d’abord été qu’une silhouette blanche surmontée d’un buisson de boucles sombres, dans la promenade du casino de Biarritz, un soir de juin. J’étais assis à la terrasse du café de la Grande Plage. À peine l’espèce d’ordinateur qui décrypte en nous les données de la vue pour déterminer si d’aventure elles sont compatibles avec nos modèles intérieurs et donner au désir le signal qu’il peut distiller son venin avait-il eu le temps de déclencher en moi son alarme (sang battant plus fort au cœur et aux tempes) qu’elle avait disparu.
C’est que j’avais tardé à la suivre : j’avais dû attendre le garçon pour payer. Enfin, je m’étais levé, m’étais rapidement frayé un chemin parmi les promeneurs, assez nombreux ce soir-là, dans la direction où elle allait, j’avais même couru un peu vers une femme en blanc occupée déjà à gravir le raidillon du Casino Bellevue et que j’avais prise pour elle (mais non, c’était une espèce d’Anglaise assez mûre).
J’étais monté pour rien jusqu’à la place Sainte-Eugénie : les promeneurs se faisaient plus rares, les marchands de glace fermaient boutique, les familles rentraient, je ne la trouverais plus.
J’étais pourtant redescendu vers la plage sans grand dépit. Elle n’avait été qu’une silhouette, je n’avais pas pu distinguer ses traits, à peine avais-je vu qu’elle était jeune et de peau foncée : rien, pour le jeune célibataire très émoustillable que j’étais ce soir-là, qui en fasse autre chose qu’une proie possible et remplaçable. C’est seulement si, l’ayant rejointe, j’avais pu l’observer discrètement à loisir, qu’aurait pu s’enclencher pour de bon le mécanisme du désir, peut-être même la fascination vénéneuse de la beauté.
Car on peut suivre quelqu’un pour au moins deux raisons. Parce qu’on est en état de manque sexuel et qu’on cherche : en ce cas, tout ce qui rentre peu ou prou dans le cadre de nos normes intimes peut faire l’affaire et, à ce grand jeu de leurre, le lévrier peut changer vingt fois de lièvre dans la même soirée. Ou bien, c’est la beauté, autant dire la foudre : on n’attendait rien, on a été happé au passage.
(…)
Sur la promenade de la Grande Plage, il restait suffisamment de lumière, et, dans la lumière de beaux visages, de corps désirables pour attirer mon attention. L’un, d’ailleurs, venait à ma rencontre - une blonde très bronzée- et je m’apprêtais, tandis qu’elle me croisait, à revenir sur mes pas pour la suivre, quand, à cinquante mètres devant moi, arrivant de la droite, du bowling, sans doute, j’avais vu réapparaître ma jeune femme en blanc, toujours seule, qui s’était mise à marcher en direction de l’Hôtel du Palais. J’avais eu alors, je m’en souviendrai toute ma vie, un intense moment d’hésitation. D’un côté, tout près, à ma portée de rencontre instantanée, la blonde séduisante, dont je venais de voir les traits, qui me plaisait bien, de l’autre, là-bas, l’inconnue sans visage, qui n’avait pour elle que sa silhouette et son mystère. (…)
Vraiment je fus une seconde immobile, paralysé. (…) Je tranchai cependant. J’aurais sans doute mieux fait de me tordre sur-le-champ la cheville. À quoi tient un destin ! Au moins ces secondes d’hésitation, goûtées jusqu’à la suffocation, couvrent-elles de l’illusion du libre arbitre les cruels caprices du hasard. (…) Je suivis l’ombre blanche.
Il arriva cette chose étrange : à hauteur du Palais, là où la promenade se resserrait en un mince quai serpentant, parfois à travers de petits tunnels creusés dans le rocher, jusqu’à la plage Miramar, pour la deuxième fois, l’ombre s’évanouit.
Elle avait beau être très visible dans la foule maintenant clairsemée, j’avais beau la tenir, là-bas, à quarante mètres à peine devant moi, pour ainsi dire à bout d’yeux (comme on dit à bout de bras) : il y avait cet endroit, après la piscine de l’hôtel où le chemin tourne brusquement.
Or, au bout du tournant, je ne vis plus personne. Je poursuivis pourtant jusqu’à la petite montée nommée Venelles des vagues : en vain. À peine quelques messieurs errants. Je n’ai jamais beaucoup cru au surnaturel, elle ne m’avait fait, même de loin, ni tout à fait l’impression d’une fée ni celle d’un fantôme : elle paraissait, et c’est ce qui m’arrachait à son effigie fuyante, trop vive. C’est pourquoi j’eus soudain l’idée de chercher dans la seule direction où une créature humaine cheminant comme elle aurait pu obliquer : sur la plage. Déserte évidemment, à cette heure (…)
Je retirai mes mocassins et m’avançai. Je mis un certain temps à la voir, tant sa tenue blanche l’apparentait aux larges falbalas de l’écume. Elle s’était avancée, au plus près des vagues, restait immobile à les contempler, pieds nus, se reculant seulement d’un petit sautillement gracieux quand elles éclataient trop fort, laissant, le reste du temps, les broderies de l’eau lui entourer les chevilles.
Je demeurai un long moment à une distance respectueuse. Quand je me décidai à venir à sa hauteur, je le fis à une dizaine de mètres sur la gauche, regardant droit devant moi, de façon qu’elle puisse me voir, sans avoir pourtant l’impression que j’étais là pour elle. Pendant un assez long moment, je ne sus quel parti adopter : me rapprocher ? M’éloigner ? Je n’étais même pas sûr qu’elle m’ait vu. (…)
Quand elle s’était enfin arrachée à la contemplation des vagues et était remontée sur le quai, j’avais acquis la certitude qu’elle était jeune, assez belle, noire ou mulâtre et - plus précis encore- brésilienne.
Combien de temps, ensuite, l’ai-je suivie ? Je marchais à cinq mètres d’elle. J’étais persuadé qu’elle ne m’avait pas remarqué, ni sur la grève ni sur la promenade. Elle paraissait ne voir personne, aucune des vieilles dames insomniaques encore assises sur les bancs, aucun des jeunes qui traînaient en bandes devant le casino. Elle marchait vite, moins comme quelqu’un qui a un but et s’y hâte que sous l’effet d’une jubilation secrète.
À la fin, dans la rue Monhaut, qui était déserte et où l’écho amplifiait le moindre bruit de pas, elle ne pouvait plus m’ignorer.
Il fallut prendre contenance : je choisis de la doubler comme quelqu’un qui rentre chez lui d’un pas rapide – nous étions à la hauteur de la place Clémenceau, devant le petit tabac qui jouxte le Royalty -, puis je me tournai vers elle, l’air de la reconnaître, et lui adressai la parole. »
Hé ! Hé ! La suite ?... 😛
Si vous êtes accroc et si vous avez envie de la connaître, n'hésitez pas une seconde et courez donc acheter « Amour noir » de Dominique Noguez (Prix Fémina 1997)
Mais je vous préviens, une citation en exergue du roman dit ceci :
« J’en arrive à croire aujourd’hui de temps en temps que l’amour ne peut rien être d’autre qu’un droit volontairement donné à l’objet que l’on aime de nous tyranniser. »
Dostoïevski (Carnets du sous-sol)
Vous voilà avertis ! 😉